ÉDITIONS GRAFFIAS
ÉDITIONS GRAFFIAS
Littérature et Photographie
Rencontres
Micheline Bélanger
Sur une corniche, un étranger entame parfois avec moi une conversation sur le paysage. Je fais des belles photographies avec un coûteux objectif. On me prend pour une photographe professionnelle tellement, je donne l’impression d’être absorbée par mon sujet. Il est vrai qu’ici, il n'est pas rare de croiser de grands photographes. Ils vont trépieds à l'épaule avec leur grosse pointure suscitant la curiosité, tenter de saisir des prises étranges. Mon objectif un peu long les trompe, mais je ne suis qu'une amatrice. Malgré tout, ils se demandent ce que je vois de si particulier. On me pose la question. Le contact humain est plus facile loin des villes et de ses agitations. Ralentir fait du bien aux humains et les rend plus sociables.
Le paysage se fait et se défait à chaque regard jeté au hasard. Je projette d'entreprendre une expédition pour aller faire une photographie d'un monolithe en forme de vase à fleurs. Je l'aperçois au loin, découpé sur le bleu du ciel, la base enfouie dans la mer. Ces structures naturelles de bord de mer ont quelque chose de fascinant. Je crois qu'elles parlent avec ce qu'il y a de plus beau dans l'être humain. Hypnotisée, je regarde. J'imagine. L'idée d'en être proche me grise.
S'apercevoir
Micheline Bélanger
Le Monde est dans mon salon. Tous les jours, je suis confrontée à un sentiment d’impuissance. Il me faut parfois appuyer sur des boutons pour fermer la porte à l’Insupportable. Il me devient sans doute trop difficile en l’espace de soixante secondes d’absorber entre deux annonces de dentifrices, drames et scènes de guerre se déroulant à l’autre bout du monde. Je n’ai pas le temps de reprendre mon souffle. Il me faut un peu plus de temps, je suppose, pour comprendre la Marche de Notre Monde.
Naïvement, durant un temps, j’ai un peu cru que ma maison était une oasis de paix, un havre tranquille où je pouvais me détendre. Je lisais doucement près de la fenêtre. Je sirotais du café. Je payais mes factures en ligne m’épargnant la file d’attente à la banque. Le confort modeste de mon foyer anoblissait mon âme ayant longuement et durement travaillé à sa quiétude. Le propos n’est pas de laisser sous-entendre que je sois dérangée par la présence du Monde dans mon salon, mais n’étant qu’un petit grain indétectable dans une mer de sel, je collabore à ma manière.
Je reprends donc la route ! Je m’en vais ! La paix ne commence-telle pas au-dedans de soi? L’insouciance des oiseaux, le sourire des nouveau-nés, le regard fragile du vieillard rendent à la Vie tout son mystère. Observer ces expressions subtiles allège mon âme. Apercevoir, c’est aussi s’apercevoir de qui l’on est. Je pars à la rencontre de ce que la Vie a de précieux à offrir et, du coup, je pense que je vais mieux me rendre compte de qui je suis. Apercevoir et s’apercevoir sont une sorte de vase communicant entre les manifestations du Vivant. Aujourd’hui, ma maison est un monastère où j’écris. Ce sont là des notes de ce que j’ai pu apercevoir.
Éparpillements
Micheline Bélanger
Parfois la matérialité me pèse. Mon corps devient lourd à porter. Soumis au lien social, il n’éprouve jamais de paix. Ce lien n’autorise presque jamais la présence à soi-même. Je dois me conformer, suivre les règles d’une société bien pensante : être efficace, autonome, satisfaire les exigences de ma fonction. À mon insu, sur bien des facettes de ma vie courante, il me faut rendre des comptes.
Certains jours, au lever, je me dis par exemple : « Ah non ! Il faut déjà prendre rendez-vous avec le coiffeur ». La terre me rappelle sans cesse à elle. Il me faut faire du rangement dans l’appartement. Il me faut acheter des nouveaux vêtements. Il faut faire du thé. Cela me déplaît de retourner à ces considérations triviales. J’entends la vibration du monde derrière ma porte close.
De ma fenêtre, couverte d’un store de bambou, j’entrevois les passants. Les voitures dérangent ma solitude de laquelle je me suis plainte durant des années. Je n’aurais jamais cru qu’elle me soit devenue si précieuse. Avant que je ne me dessaisisse de toutes ces habitudes de plaire, je faisais presque exclusivement que l’exercice des autres. Maintenant, je veux ralentir. Je veux flâner. Je souhaite avoir du temps pour contempler la vie.
TÉMOIGNAGES
Chaque texte est un écrin de douceur, de sensibilité, de fragilité et de vulnérabilité. En plus, tu as su mettre en mots des interrogations très touchantes que la plupart du temps, nous ne sommes même pas conscients de ressentir.
J. Couture
Quelle tendresse quel simplicité. Écoute j’ai ouvert le livre et je l’ai refermé à la dernière page. Il se dégage une telle fraîcheur et une joie de vivre l’instant présent. Merci Micheline et j’espère que ce n’est pas le dernier. Merci de tout cœur.
J. Caron
De petits bijoux au fil des pages. Je ne voulais pas arriver à la dernière page. Je ralentissais pour goûter chaque mot, chaque paysage qui défilait devant moi.
L. Lafrenière
À PROPOS DE L'AUTEUR
Micheline Bélanger
Née en Abitibi (Québec) en 1954, mes racines s’enfoncent profondément dans la terre. Mon enfance se déroule dans un pays de forêts et de rivières où débutent mes premières perceptions. La peinture et le dessin m’intéresse. L’écriture mûrit.
Dans la jeune trentaine, je pars vivre en Amérique centrale. La distance me révèle des cotés de moi-même que je ne connaissais pas. Je prends conscience d’une autre partie de mon identité. De retour au pays, j’entame des études littéraires.
Je sillonne le Québec que je capte par les yeux et par le cœur. Je photographie le Monde. C'est une manière différente de me comprendre. Qu’est-ce que je vois, qu’est-ce qui me touche. J'écris ce qu’il y a à l’intérieur de moi.
Dans tout ce que je regarde, je vois une part de l’Immensité. À mes yeux, tout ce qui peut disparaître est vivant. S’il y a possibilité de disparition, c’est qu’il y a mouvement.
Je cherche constamment des liens entre tout ce qui parle et se regarde. Entre l’humain et le végétal. Je cherche les connexions dans les expressions du Vivant. J’écoute ce qui n’a pas de voix. Je tente de l’exprimer avec l’outil des mots et de l’image. Rien n’est sûr au début. Il n’y a en fait que ma Présence dans le paysage Humain qui tente désespérément d’exister.